Ref CD : 1240
La classe de Rhéto
Antoine COMPAGNON
mardi 15 janvier 2013
par bibson
durée 8 h 36 min

 
  Quatrième de couverture : Tout s’est joué durant la classe de rhétorique, quand je débarquai de la riante Amérique, au milieu des années soixante, et découvris l’un de ces établissements sévères où la vieille France instruisait ses futurs chefs. Je grandirais encore, mais je ne changerais plus. Du moins je vis sur cette illusion, comme si j’étais resté le même par la suite. Mon idée de ce pays était faite, mon sens de l’autorité et de l’indiscipline, de l’honneur et de la honte, de la fierté et de la servitude, de l’amitié et du mépris. Cette année-là, je l’entamai comme un bleu, l’éternel bizut tombé des nues, abîmé sur terre, et quelle terre ! Je la terminai en pensant savoir qui j’étais et quel était le monde où j’allais vivre, un grand, un immense bahut, avec son ordre serré et son anarchie profonde, sa règle apparente et ses arbitraires incessants, ses peines et ses allégresses, ses mensonges, ses hypocrisies, ses passions. Rien de plus artificiel que ce sentiment : on se figure l’unité d’une existence, là où il n’y a que des moments disjoints, et les zigzags de la fortune ; regardant en arrière, on se voit comme un puer senex. On le sait, mais, privé de telles fictions, sans une dose de duperie de soi ou de mauvaise foi, on serait égaré. Chacun se raconte une histoire à laquelle il s’attache. Dans mon roman, la rhéto a été le nœud fatidique. Antoine Compagnon a publié aux Éditions Gallimard Les antimodernes. De Joseph de Maistre à Roland Barthes (2005) et Le cas Bernard Faÿ. Du Collège de France à l’indignité nationale (2009). Commentaire personnel : L’auteur garde le flou sur la période concernée (en fait l’année scolaire 1965-1966), sur le nom de l’établissement et celui de la ville. Les patronymes de la plupart des protagonistes qui ont réellement existé sont modifiés, certains à peine, d’autres totalement. L’un d’eux apparaît toutefois sous son vrai nom. Antoine Compagnon est soucieux d’expliquer qu’il ne s’agit pas d’un reportage ou d’une œuvre d’historien et qu’il ne faut pas tout prendre au pied de la lettre : (page 238 : « … le recul de dix années – et à plus forte raison le récit que j’en donne aujourd’hui – ne correspondait pas forcément à la vérité. Les faits resteront inconnus. » page 327 « Une école militaire était très différente en ce temps-là, mais peut-être ne l’était-elle pas autant que je l’ai laissé entendre, ou au contraire elle l’était davantage. ») L’ouvrage est un excellent récit autobiographique, par un ancien élève du Prytanée, de son arrivée dans l’établissement et des expériences qu’il y a faites, essentiellement en classe de première. Les « brutions » ayant connu le « bahut » à peu près à la même époque, dont le donneur de voix auteur de ces lignes, y retrouvent une foule de lieux, de comportements, d’anecdotes, de personnes qui les replongent de manière très convaincante dans leur propre scolarité. Toutefois l’ancien élève des années soixante que je suis (J’ai quitté l’établissement quand l’auteur y entrait) est frappé aussi par des éléments ne correspondant pas à sa propre expérience : 1) Le cas particulier de l’auteur : il arrive au Prytanée en provenance des États-Unis ; il est fils de général ; il vient de perdre sa mère ; ses rapports avec son père sont distants ; une bombe au plastic déposée par l’OAS a explosé sous sa fenêtre quand il avait une dizaine d’années ; à l’âge d’onze ans il a été renversé par une voiture parce qu’il regardait en l’air et guettait l’arrivée des paras (ceux du putsch des généraux d’Alger) 2) Le groupe dont il fait partie au Prytanée : un élève bricole une rampe de lancement, la fusée blesse l’auteur ; un autre jette une chaussure à la tête d’un sous-officier et le blesse ; un autre est fou, « barjo », « dingue » ; plus tard un ancien camarade de l’auteur tue sa femme et ses enfants, un autre dévalise une banque et est condamné à une lourde peine. 3) Quelques bizarreries (ou inexactitudes ?) factuelles : la couleur politique d’un professeur, également maire de la ville, présenté comme de centre droit, alors que l’intéressé, à ma connaissance, se réclamait à l’époque du Parti Socialiste ; une intrusion du groupe de copains dans la chapelle St-Louis par les toits et des agapes dans la crypte, à propos desquelles l’auteur dit qu’il n’imaginait pas qu’on lui en tiendrait rigueur : or il avait eu une formation religieuse jusqu’à l’âge de treize ans et était allé à la messe jusqu’à son entrée au Prytanée ; la présence à la « Fête de Trime » de 2010, que préside l’auteur, de son ancien camarade meurtrier de sa femme et de ses enfants, moins de vingt ans après les faits ; les regrets de l’auteur concernant l’absence de bibliothèque : pourtant je me souviens avoir lu à l’époque, par exemple, L’amant de lady Chatterley (une lecture qui marque !) fourni, si je me rappelle bien, par l’établissement.  4) La description de l’encadrement militaire, aigri, sot, démoralisé, réactionnaire et sympathisant de l’OAS : les témoins de l’époque confirment l’existence de tels traits (on en parlait plutôt à mots couverts) chez certains militaires, ils contestent la généralisation qu’en fait l’auteur.  5) La conclusion sous-jacente ou explicite : de telles conditions de vie en internat devaient induire des comportements suivistes ou révoltés, conduire un assez grand nombre d’élèves à la prison ou à l’asile. Or la réalité de la majorité d’entre eux est assez éloignée de ces déviances